Triplex atypique
et cinématographique
Un triplex aux accents brooklyniens capable de dialoguer avec quelques œuvres d'art aussi vivantes qu'imposantes.
Situé dans un immeuble datant des années 2000, en plein cœur d'un quartier bourgeois genevois, c'est un appartement atypique, traversant et relativement bas de plafond.
Pour en révéler toutes les potentialités et imaginer un triplex de haute qualité, les volumes ont été poussés, les étages comme inversés, les frontières entre intérieur et extérieur floutés. Il ne faut pas y voir une quelconque influence cinématographique à la Christopher Nolan (Memento, Inception, Tenet..), mais l'envie de moduler les espaces selon les besoins, la vie étant trop courte pour ne pas en profiter au quotidien.
En ouvrant les différentes pièces sur les autres, en instaurant des cloisons qui sont autant de séparateurs que de possibilités d'agrandir une topologie existante, le bureau Nicoucar Steininger s'est offert la possibilité de dilater les espaces, d'offrir des transparences et des perspectives inédites, d'imaginer un loft aussi ludique qu'expérimental, où se révèle une haute idée de l'art et de l'artisanat de qualité. Ici et là, on apprécie les luminaires arty indutriels signés Apparatus Studio ou Rich Brilliant Willing, deux éditeurs made in Brooklyn qui amènent de la patine, et une valorisation certaine de l'objet ancien. Des pièces lumineuses, qui officient comme des sculptures une fois éteintes.
Dès le palier franchi – un rez qui se trouve au 7e étage !, l'entrée nous fait pénérer au cœur de l'intimité de l'appartement. Et oublier derechef ce que l'on vient de quitter. Deux chambres et les commodités sanitaires d'un côté quand, en miroir, se découvre un salon aux intimités généreuses et à la bibliothèque dessinée sur-mesure, presque un boudoir culturel dont la spatialité se prolonge sur la terrasse attenante. Celle-ci profite d'un garde-corps ajouré dont le moucharabieh métallisé vient agrandir la surface intérieure, et en repousser la frontière visuelle, subtile extension sans prétention autre que celle d'un sentiment de confort extérieur. Deux portes coulissantes, vitrées, l'une opacifiée, l'autre rideauifiée, peuvent cloisonner, isoler au besoin, le dit salon. C'est un appartement dans l'appartement. Une mise en abyme architecturale.
Jean Nouvel en gardien du temple
Le premier escalier intérieur permet de monter à l'étage de réception. L'ascension se fait dans un noir et blanc cinématographique, avec quelques nuances de gris qui créent un sas ascensionnel à l'esthétique digne des années 60. Le garde-corps, dessiné avec la volonté de dynamiser un espace sinon trop informel, propose un effet d'optique cinétique qui vient dopaminer l'éclat de marches marbrisées, et contraster avec une enfilade de tirages du photographe Robert Mapplethorpe.
Le second salon y est quasi élyséen avec ses fauteuils et canapé Pierre Paulin. Des modules aux rondeurs assumées qui viennent casser les lignes existantes et améliorer la fluidité de circulation.
L'espace, relativement étroit, offre néanmoins une imposante cheminée de Corten cuivré qui fait écho à un plafonnier signée 101 Copenhagen, et des meubles filaires, aux tubulures fines, qui viennent soutenir les différentes photographies murales. Un espace compact, mais expressif et personnel, qui évolue sous le regard bienveillant d'une sculpture plus grande que nature de Jean Nouvel, un décalque multifacetté et noirchitecturé par son compatriote français Xavier Veilhan – l'artiste qui a posé un train baptisé Le Crocodile devant le nouveau Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne.
La cuisine est râblée, essentiellement fonctionnalisée par des agencements Bulthaupt, et l'ilôt central cerné des chaises Masters de Philippe Starck pour Kartell – un condensé d'icônes du design compilant la Série 7 d'Arne Jacobsen, la Tulip de Saarinen et la chaise Eiffel des Eames. Si ce rez supérieur est plus serviciel, il est aussi l'espace de réception par excellence. Des voilages intimisent et privatisent l'étage côté cour, quand des baies vitrées offrent transparence et ouverture sur l'extérieur.
Comme au rez, cet étage s'offre une terrasse extérieure, large, dominante et bordée pour partie d'une végétalisation vaporeuse, galopante et grimpante permettant de verdir un espace sinon relativement impersonnel, et soumis au voisinage. Une ouverture dans la palissade boisée amène une fenêtre sur la rue, seul clin d'œil à un jardin sinon d'une intimité absolue et dont le rayonnement a tout du loft qu'on pourrait imaginer aménager sur un toit new-yorkais.
Bonus cumulus, un escalier hélicoïdal permet d'accéder à une terrasse supplémentaire profitant d'une vue directe sur le Jet d'Eau. Une zone de teck où les montagnes du Jura font tapisserie et le ciel office de plafond. C'est un refuge dans le refuge. Une figure de (life)style qui, à son tour, permet de s'isoler verticalement et symétriquement parlant.