À la hauteur d'un
tableau d'Hopper
Un appartement-terrasse aux intimités multiples. Dans un décor à la Hopper, une intervention confinant à de la haute couture architecturale.
La cathédrale, le Salève, le Jet d'eau en étirant le regard... depuis la terrasse créée ex nihilo sur un classique toit pentu genevois, la vue panoramique l'horizon en un balayage à 360°. Longue d'une vingtaine de mètres, séquencée de multiples bacs à plantes, elle est un ponton de teck ouvert aux quatre vents où, capitaine Achab de circonstance, on a l'impression de fendre la mer des toits environnants. À moins que ce ne soit un jardin suspendu... Un rectangle de fêtes jusqu'au nuitiste... Un terrain propice à une envolée titaniquienne...
Partie de la surface en est recouverte d'une pergola préfabriquée qui vient épouser la structure existante, protéger la cuisine extérieure. Les lames qui la recouvrent, amovibles et inclinables selon l'orientation du soleil, sont un prémice de la geste architecturale qui se déploie à l'étage inférieur, le prolongement d'une intervention qui a de la suite dans les idées.
Un appartement rayonnant
Basiquement, c'est un appartement de 213 m2 construit dans un ancien galetas dont le programme permet d'accueillir un couple avec enfant. On dit ça parce qu'il y a deux chambres avec salles de bains attenantes. Pratiquement, c'est un jeu de cache-cache architectural où les espaces évoluent au gré des envies de son usager. Pour ce faire, le parti-pris en a été d'exploiter au plus près les volumes à disposition tout en composant avec de grosses contraintes existantes (l'ascenseur de l'immeuble, les systèmes de mise en surpression...).
Reprise de mandat en cours de chantier d’un autre bureau d’architectes, sous l’égide des conseillers des propriétaires de la régie Moser-Verbet & Cie SA, l'espace a été entièrement revu et augmenté en mètres carrés. L'appartement a comme été repoussé aux limites de ses volumes.
Des alcôves sur-mesure
Autour d'un noyau central concentrant l'escalier d'entrée et le système terminal de la cage d'ascenseur, le lieu distribue les espaces à la manière d'une Mire de Siemens. Hors le salon et la salle-à-manger, les différentes pièces ont toutes été créés dans des alcôves approfondies sur-mesure. C'est un loft dont chacune des pièces offre une forme de retranchement, qui n'offre aucune vue droite, renforçant ainsi le sentiment d'introspection. La disposition des lames de bois ont un rythme propre, du plus serré au plus espacé, à la manière de rideaux entrouverts, ceci pour un surcroît de légéreté, de dynamisme. Une fois dans le bureau, dans la bibliothèque, dans la cuisine ou le dressing, « on est à l'intérieur de l'intérieur ». Des coins protégés alors qu'aucune porte ne vient en clore les ouvertures.
Appartement comme éventré tant il semble révélé de partout, il est à l'image du travail effectué sur les lumières. Toujours indirect, révélant ses facettes de manière discrète. Et s'il éclaire, il met avant tout de l'ambiance.
Un parc de sculptures
Vide, l'appartement est conçu comme un parc de sculptures ; la cage d'escaliers qui recèle en son sein la poulie de l'ascenseur desservant l'immeuble ; la cheminée, ajoutée comme un caprice de bon goût; l'ilôt qui permet de délimiter l'espace cuisine tout en l'inscrivant de plein pied dans l'espace commun; le buffet servant notamment à dissimuler l'écran télé.
Les poutrelles de la structure métallique offrent un contre-point industriel à une marquetterie en point de Hongrie, ou à des lamelles installées à intervalles réguliers faisant office de lanternau naturel. En chêne teinté, celles-ci créent l'intimité, dirigent la lumière naturelle, mais également sa cousine artificielle à la nuit tombée. En fin de journée, l'ambiance est celle d'un tableau de Hopper, chaque espace offrant une expérience sans cesse renouvelée.
Une expérience de la lumière
À travers ce parti pris lumineux, à la limite de l'installation artistique, aux confins de l'expérimentation, on pense aussi aux installations du Danois Oliafur Eliasson, ou à celles de l'Américain Doug Wheeler. Yasmine Nicoucar : « J'aime cette expérimentation de l'espace par des vecteurs différents, celle qui permet de stimuler tous nos sens. Je veux faire en sorte que l'habitant, le visiteur de ces lieux en conserve un souvenir dans un coin de sa mémoire. Le sol est d'un seul tenant, vivant, constitué de pierres suisses de rivière concassées, un assemblage réalisé lui aussi sur-mesure auprès de l'entreprise bernoise Weiss + Appetito.
Très riche dans ses fonctionnalités, très noble de par les matériaux utilisés et le rendu obtenu, c'est un appartement qui se suffit à lui-même. C'est-à-dire que même nu, il suffit de peu pour l'habiller. Quelques accessoires à disposer ça et là, car le tout architectural ne mérite assurément pas de décoration trop chargée.
Une aventure intérieure
Un détail encore. Lorsque vous prenez l'ascenseur, le numéro 5 de la console ne dessert plus l'étage voulu. Comme si celui-ci avait disparu, dissimulé au regard du monde. C'est la chambre 13 d'un hôtel, l'étage 7 et demi du film Dans la peau de John Malkovich, l'oasis mirage qui n'existe que pour celui qui la voit. Ou qui l'habite, dans le cas précis.
2016 / Client privé
Collaborateur du projet : Xabier Calvo
Photographies © Dylan Perrenoud
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