Un grain de béton
Un cube de béton accolé à une maison d'habitation paysanne. En confrontant l'existant et le surprenant, cette délicate hybridation fait se cotoyer deux époques, et deux architectures. En multipliant les possibilités de l'habiter, et donc de la rendre vivante, elle offre un nouveau standard de vie, la sensation à peine émergée d'avoir déjà existé.
Yasmin Nicoucar aime les projets atypiques. Ceux où elle peut jouer avec les matières, confronter l'existant et le surprenant, replonger dans l'histoire des lieux pour mieux en interroger les futures potentialités. La bâtisse dont il est question ici est une forme de maison bourgeoise, fermière par son implantation et son apparence rustique, domestique. Elle n'est pas inscrite au patrimoine, mais dénote d'un charme indéniable. Une maison située dans la campagne genevoise que l'architecte carougeoise a pris soin de préserver tout en lui offrant une rénovation qui vient multiplier les possibilités de l'habiter. De la rendre vivante.
Révéler l'existant
Son intervention maximale consiste bien évidemment en ce cube de béton et de touches de verre qui vient jouxter le bâtiment originel. « Mon objectif était de ne pas toucher à la maison, mais de venir à côté » explique l'architecte. Ne pas dévoiler tout de suite la nouveauté, mais longer d'abord la maison pour en découvrir ensuite l'extension. Faire se cotoyer deux époques, deux architectures. Plutôt que de les coller et d'opérer une hybridation délicate, elle a créé comme une respiration entre les deux bâtiments.
De l'extérieur, il est ainsi possible de voir à travers la cuisine. C'est un monolithe troué de fenêtres qui autorisent des percées visuelles qui vont jusqu'aux montagnes, de l'autre côté. Une unique pièce qui abrite la cuisine, une pièce à vivre qui se déploie face à un panorama d'exception qui s'étend des Voirons au Salève, et plus loin encore. Un promontoire sans garde-corps ni barrière physique venant entraver la contemplation première. Une terrasse qui vient surplomber un terrain en pente et permet de profiter du cèdre dont l'existence date de bien avant la construction de la maison. Le jardin est parsemé d'arbres fruitiers, autochtones, à la manière d'un verger d'antan.
Glisser un lien apparent
Si les deux modules constructifs peuvent sembler antinomiques, un fil d'Ariane relie le nouveau à l'ancien. Une maçonnerie en béton apparent qui se veut complémentaire au niveau de la matérialité, et qui offre à ce monolithe le sentiment qu'il semble émergé de nulle part, juché sur sa hauteur, tel l'Acropole sur sa colline athénienne.
La maison, quant à elle, se veut une relecture romancée de son passé. Avec une grande pièce à vivre, décloisonnée, où des claire-voies viennent remplacer les portes. Avec des mosaïques dans les salles de bains qui viennent faire écho aux tommettes des paliers. Avec des corniches conservées pour leur caractère historique, parce qu'elles sont un témoignage, une une empreinte des espaces existants, délimités par un mur qui n’est plus. Un gris clair vient recouvrir tout le rez-de-chaussée comme un voile, une poudre... Au sommet, la chambre de maître occupe les combles, pièce unique, dressings individualisés, et poutraison apparente. Sans mur, transversale d'une fenêtre à l'autre, elle est une suite qui impose sa solennité, son silence. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un regard vers le jardin pour un tête-à-tête hautement symbolique avec les frondaisons du cèdre, définitivement maître des lieux.
Si le cube est tout de béton revêtu, la maison est recouverte des fameuses tuiles de Bardonnex, c'est un détail, mais pas tant que ça, car elles constituent la toute dernière livraison de cet authentique pan du patrimoine genevois. Des tuiles dont pas une ne ressemble à sa voisine et qui offrent une composition picturale absolument unique. Le bureau de Yasmine Nicoucar aime les clins d'œil et les morceaux d'histoire.
Photographies © Dylan Perrenoud
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